Jamais je n'aurais imaginé être une femme exceptionnelle
Texte: Esther Bastendorff
Mise en scène et jeu: Esther Bastendorff
Accordéon: Aurélien Noël
Durée:1h30
A partir de 9 ans
Résumé:
La pièce raconte l’histoire de Jacqueline Peker à travers son regard mais aussi à travers celui de sa mère Rose et de sa grand-mère Rifka.
Une comédienne accompagnée d’un accordéoniste revisite tous les moments forts de la vie de Jacqueline Peker : l’exil de Pologne, la vie sous l’occupation nazie, son enfance cachée dans une ferme, sa découverte des animaux et le début d’une grande histoire d’amour fou, la résistance, la scolarisation tardive de Jacqueline, son métier de chanteuse dans les cabarets parisiens, ses études de vétérinaire, sa découverte de l’homéopathie, sa vie de PDG puis de vétérinaire homéopathe libérale sans oublier l’amour infini pour sa grand-mère, ses histoires d’amour, ses amitiés fidèles, ses passions…
Chaque objet, lettre, son, musique, réveille en elle des souvenirs et convoque des êtres chers qui ne sont plus là … Ce récit de résilience, entremêlé de témoignages, de chansons et de personnages insolites donnent une dimension universelle à l'histoire de Jacqueline Peker.
Mais la comédienne qui l’incarne ne se laisse pas faire et se retrouve à devoir faire face ses propres démons et à s’interroger sur le sens du théâtre et de sa propre vie. Quel est ce phénomène paradoxal qui fait se sentir « être soi » en se glissant dans la peau des autres ? Pourquoi la scène est le seul endroit où cette comédienne se sent vivante ?
extraits:
xtrait 1
La comédienne
Quand je suis avec Jacqueline, j'ai l'impression d'être avec ma grand-mère, pourtant elles n'ont rien à voir l'une avec l'autre, absolument rien.
Ma grand-mère, c'est Odette Maggi ou plus exactement Renata Gatto, née en France d'un père italien et d'une mère bretonne. Arrachée à sa mère par son père, elle disait avoir été abandonnée par elle. Elevée par ses grands-parents italiens qui parlaient peu ou mal français, elle m'a donné toute la tendresse que je n'ai pas reçue de ma mère.
Ma grand-mère était très émotive et elle avait peur de tout. Je suis pareille. Mamie et Jacqueline. Je les admire toutes les deux. Ma grand-mère aussi a traversé le 20ème siècle, la guerre, les séparations, elle a eu ses drames. 20 ans en 1941, ça marque. Elle est morte en 2013 à 92 ans et je n'ai pas compris, je la croyais éternelle… Je pensais que la mort l'avait oubliée. La veille de son dernier jour, on a parlé du livre que j'étais en train de lire « Tombeau de Romain Gary » de Nancy Huston. Je suis arrivée le matin, avec une petite radio pour qu'elle puisse chanter dans sa chambre d’hôpital. Elle chantait tout le temps. Et le livre que je m'étais dépêché de terminer pour le lui prêter. Seulement, elle avait fait un AVC dans la nuit et n'arrivait plus à parler correctement. Elle était très agitée, elle avait peur mais pour une fois, c'était justifié. Elle utilisait un mot pour un autre, elle disait à l'infirmière avec un grand sourire « bonjour ma petite pupute ». Ça m'a fait rire. Elle répétait, avec ce geste de la main (geste signifiant qu'on tourne une page) « je suis toufu, je suis toufu, je suis toufu ». Quand on se voyait, on parlait toujours de ma mère et de littérature, on échangeait des livres, des citations. Toute mon enfance j'ai retrouvé des petits bouts de papier dans les poches de mes Jeans, avec des citations de poètes pour me donner du courage ou me faire sourire. Ces petits bouts de papier m'accompagnaient partout, je la savais avec moi tout le temps. Avec Jacqueline, on parle aussi de livres. Je me sens en famille. Quand je vais chez elle, j'apporte un bouquet de fleurs et des cartes postales avec des petits mots. Comme je le faisais avant. Je joue à la petite- fille avec sa grand-mère. Je fais comme si. Mamie était mon pilier et Jacqueline est mon phare...
Extrait 2
Jacqueline : Mademoiselle Paret ?
Mademoiselle Paret: Jacqueline ?
Jacqueline : Qu'est-ce que vous faites ici ?
Mademoiselle Paret : Oh, je voulais entendre Barbara, on m'en a dit tellement de bien. Quelle voix, elle m'a envoûtée ! Je n'étais pas la seule d'ailleurs, ce silence dans le public, nous étions tous suspendus à ses lèvres...Mais toi aussi, ton numéro était très ...amusant !? Alors comme ça tu es chanteuse ?
Jacqueline : Non pas vraiment. Je travaillais en salle et un jour, Barbara était absente et il a fallu que je la remplace. J'ai choisi une chanson de comique troupier et ça a été un vrai succès ! Je me suis découvert une voix et un vrai talent pour la scène. Je chante souvent avec les Frères ennemis, on rigole bien. J'adore cette ambiance folle des nuits parisiennes. Et puis surtout ça paie mes études !
Mademoiselle Paret : (soulagée) Ah tu fais des études ? Tu me rassures ! Tu étais tellement douée enfant. Je peux être honnête avec toi ? Tu n'es pas Barbara ni Annie Cordy, tu seras jamais la plus grande chanteuse de Paris ...mais si tu fais tes études à fond, là, tu deviendras la plus grande vétérinaire de Paris, j'en suis persuadée ! Enfant tu me parlais tout le temps de tes animaux de la ferme qui te manquaient tant, de ton cochon qui avait été abattu pour être mangé...
Jacqueline : Mes animaux ? La ferme ? La mère Tesseydre..
Changement de lumière, éclairage sur un espace en avant-scène à jardin, Jacqueline est assise au sol.
Images de la ferme, de la campagne, images de Jacqueline enfant projetées sur le corps de la comédienne.
J'ai 5 ans. Je suis assise par terre dans une cour de ferme. Le soleil me brûle les yeux. Ça sent le foin. Un gros chien me lèche le visage, beerk, j'ai peur et je ne bouge pas. Autour de moi s'agitent des poules, des ânes, des canards, des chats. Une grosse main calleuse m'attire dans la maison et me fait assoir dans la cuisine. Sur la table, un verre de lait qui sent le fromage, la bague de fiançailles de maman et un appareil photo. La ferme devient ma nouvelle maison. Je me transforme en petite paysanne. Je porte tabliers et sabots. Je découvre le rythme des saisons et des récoltes. Je mange du pain rassis trempé dans la soupe et des vieux fromages. J'ai souvent faim. Je ne m'ennuie jamais, il y a toujours quelque chose à faire. Nourrir les animaux, nettoyer la basse-cour, la porcherie, aller chercher l'eau du puits. Je passe mon temps avec les animaux, à les brosser, les caresser, leur parler. Ils me comprennent et me réchauffent. Mon cochon Léon...le jour où il a été tué pour être mangé, toute la colère que j'avais enfouie en moi s'est réveillée d'un coup et elle ne s'est jamais tarie.